Récemment, nous célébrions l’IDAHOBIT, journée internationale contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Chaque année, elle marque un grand moment de la lutte pour les droits des personnes LGBTQIA+ (dans la suite de l’article, rassemblées sous le nom “queer” par volonté de simplification du texte). Hasard du calendrier, cet événement, fixé symboliquement au moment où, en 1990, l’OMS a retiré l’homosexualité de sa liste des maladies mentales [1], a lieu un peu plus dizaine de jours avant le Pride Month, mois des luttes queers célébré dans de nombreux pays. Alors, plus d’un demi-siècle après la rébellion de Stonewall qui avait indirectement représenté la première Pride de l’histoire [2], nous remarquons que, même au delà du monde occidental, le sujet n’est plus un tabou et que son acceptation est grandissante. Symbole de cette sortie de l’ombre, le nombre d’oeuvres culturelles et de divertissement mettant en scène des personnages représentant la diversité d’orientation sexuelle et d’identités de genre grandit de manière exponentielle. Tour d’horizon en quelques exemples.
Souvenez-vous, c’était il y a quelques décennies seulement, les romances n’abordaient que rarement les relations non hétérosexuelles ou s’aventuraient parfois à railler les personnages queers, à l’image de La cage aux folles (1978). C’était sans compter sur des moeurs en évolution. En 1974 déjà, l’une des étoile montante du rock britannique, Freddie Mercury, leader du groupe Queen, annonce sa bisexualité [3] alors même que l’homosexualité est encore considérée comme un crime dans une partie du Royaume-Uni [4]. Il n’a bien sûr pas été le seul à faire son coming-out, mais son statut de superstar mondialement connue a sûrement aidé à normaliser ce trait. Autre grand artiste de l’époque, Elton John révèle son homosexualité en 1976, mais subit aussitôt une perte de popularité qu’il saura compenser par son génie musical [5].
Cependant, les moeurs évoluent, on voit alors des personnages transgenre apparaître dans les oeuvres de divertissement. Par exemple dans le monde vidéoludique: Birdo, dans Super Mario Bros 2 paru en 1989, est décrit comme “un garçon qui se prend pour une fille, et qui préfère qu’on l’appelle Birdetta” [6]. Un détail révélateur d’une tendance à la sortie du tabou. Ce signal vient alors du Japon, un pays où l’androgynie et la transidentité, ainsi que l’homosexualité, sont relativement présentes dans le paysage culturel, notamment au travers du développement des oeuvres yaoi et yuri [7], ainsi que de nombreux·ses personnages de pop culture qui n’hésitent pas à se travestir. Cette ouverture d’esprit n’est pas toujours au goût des Occidentaux·ales. Exemple dans Pokémon, anime qui a bercé l’enfance des milléniaux; un épisode où James, célèbre membre de la Team Rocket, se travesti en femme est censuré sur la quasi totalité du territoire Européen et de l’Amérique du Nord à la fin des années 90[8].
Cette censure n’avait rien d’inhabituel à l’époque, mais n’a pas empêché le développement de plusieurs oeuvres de divertissement mettant en scène la diversité d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Ainsi, avec la parution de Mass Effect dans le courant des années 2000, jeu vidéo de rôle dont l’intrigue évolue principalement au travers des relations du/de la personnage incarné·e par le joueur, le·a joueur·se est placé·e dans un univers futuriste qualifié par son créateur de “post homophobie” où les possibilités de gameplay permettent une nouvelle fois de lever le tabou sur les tendances queers. C’est d’autant plus étonnant à cette époque où le jeu vidéo était un médium réputé pour véhiculer des valeurs sexistes, machistes et hétérogenrées [9].
Réelle évolution lors de la dernière décennie, une grande partie des productions de divertissement contribuent à la banalisation de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. L’évolution ne s’est bien sûr pas produite soudainement et sans controverse, comme en témoigne la réception de La vie d’Adèle, film mettant en scène l’amour entre deux femmes sorti l’année de l’adoption des lois relatives au mariage pour tous en France (2013), qui déclencha quelques vives polémiques parmi les milieux conservateurs [10].
Aujourd’hui, nombreux sont les indicateurs qui montrent que la diversité n’est plus un tabou, on citera ici quelques exemples: la série à succès de Netflix Sense8 dont la sexualité et la pluralité de genres des personnages est un thème particulièrement important de l’intrigue [11], le long métrage Moonlight qui remporte en 2017 l’oscar du meilleur film [12], mais aussi le jeu vidéo Life is Strange paru en 2015 et les très nombreux·ses artistes aujourd’hui ambassadeur·rice·s de la grande communauté queer (Lady Gaga, Christine and the Queens et Sam Smith pour n’en citer que quelques-un·e·s) ou qui abordent ouvertement la question dans leurs textes (Madame Klaude de Therapie Taxi, Ta Reine d’Angèle, Take me to Church d’Hozier, etc.).
Autres éléments réjouissants de progression même au delà des frontières de l’Occident, la série saoudienne Exit 7 qui a fait le pari très ambitieux d’être diffusée pendant le ramadan de cette année en Arabie Saoudite et qui, dans une scène, confronte ouvertement un père aux avis très tranchés sur l’homosexualité à sa fille bien plus progressiste. Une interaction qui ne dure qu’une poignée de secondes, mais qui représente déjà une petite révolution dans un royaume où les relations non-hétérosexuelles sont sévèrement punies [13].
Dernière image de cette normalisation des personnes queer dans la culture et le divertissement, ce moment touchant de la série Atypical où Sam, jeune personnage homme asperger passionné par l’arctic, répond simplement à sa soeur qui lui avoue à demi-mot sortir avec une fille, qu’elles n’ont rien d’anormal puisqu’elles sont “comme Sphen et Magic, les pingouins gays du centre animalier de Sydney qui ont maintenant un enfant après avoir adopté un oeuf abandonné” [14]. Une simplicité qui fera fondre plus d’un·e téléspectateur·rice.
Nous l’avons vu ensemble, au travers de plus de 50 ans d’histoire et par une poignée d’exemples, la visibilité des personnes queers dans la culture et le divertissement a totalement changé. D’un tabou caché, nous sommes entrés dans une phase de normalisation quasi totale dont les bienfaits se font grandement ressentir sur les mentalités. Le divertissement a-t-il influencé les moeurs ou est-ce l’inverse? C’est plutôt un cercle qui se nourrit mais dont les conséquences sont réellement bénéfiques et permettent de sortir de la marge une partie conséquente de notre population. Cette banalisation aide également à l’émancipation des jeunes personnes queers qui peuvent y trouver des exemples auxquels s’identifier, les aidant à accepter leur différence.
Malgré ce tableau réjouissant sur le plan culturel, n’oublions pas que le chemin est encore long vers l’inclusion entière: nombreuses sont les productions qui, encore aujourd’hui, reproduisent les stéréotypes de genre, mais également où l’hétérosexualité est la norme unique. Nous ne pouvons cependant que nous réjouir d’une évolution tendancielle qui permet des progressions réelles dans les mentalités et contribue à l’inclusion des personnes queers.
Kelmy Martinez
Sources
[3] https://www.billboard.com/articles/news/pride/8457604/adam-lambert-freddie-mercury-sexuality-queen
[5] https://www.biography.com/musician/elton-john
[6] https://tetu.com/gallery/10-personnages-lgbt-qui-mettent-du-rainbow-dans-les-jeux-videos/#photo3
[7] Hadrien de Bats, « Le yaoi est-il gay ? », dans Homosexualité et manga : le yaoi
[8] http://pokezine.com/censored-pokemon-episodes/
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