Le monde occidental s’embrase. Une fois de plus il se mobilise, s’organise, se manifeste contre une injustice. Il a fallu un nouvel assassinat pour mettre le feu aux poudres: un appel au numéro d’urgence, des policiers avec un peu trop de préjugés et d'agressivité, un contrôle de routine qui vire très vite à l’humiliation du suspect, un procédé qui va trop loin et des supplications qui auront duré huit minutes et quarante-six secondes jusqu’à ce que succombe George Floyd, 46 ans, dernière victime en date d’un système qui opprime et qui tue les personnes racisées depuis tant d’années. C’est au prix d’une flamme de plus s’éteignant que s’est rallumé le brasier de la colère.
Des semaines d’émeutes, la garde nationale déployée, une colère qui traverse vite l’Atlantique et qui rappelle celles et ceux qui sont mort avant: Adama, Mike, George, tant de noms qui n’ont en commun que la cause de leur décès. De Minneapolis à Paris on se rassemble et on lève le poing, mais pourquoi tant d’injustices qui se répètent?
Une situation qui s’éternise
En 2008, à l’élection de Barack Obama, on aurait pu croire que c’était fait. Que la plus grande puissance économique de l’époque s’était réconciliée avec son passé, qu’elle était entrée dans la phase de l’Amérique post-racisme. Mais il n’en était rien, juste un symbole qui trahit une amélioration sur le chemin vers l’égalité, mais malheureusement pas la fin des discriminations raciales. Aujourd’hui encore, les Afro-Américain·e·s sont précarisé·e·s, discriminé·e·s, criminalisé·e·s dans leur propre pays. Des préjugés profondément ancrés dans la culture, qui s’intègrent dès le plus jeune âge. Un racisme qui sème derrière lui pauvreté et tragédies. Informellement rangé·e·s par origine ethnique dans les quartiers des villes, les personnes noires occupent principalement les endroits les plus pauvres, les moins bien couverts par les services publics. Ainsi, lors de la pandémie de coronavirus à Chicago, 72% des victimes de la maladies étaient noires alors même que la communauté ne représente que 30% de la population [1]. A cela s’ajoute un rapport de force quotidien, des communautés blanches qui n’ont jamais perdu l’habitude de soumettre les ethnies Afros. L’Homme* noir exécute le travail que l’on ne veut pas, le travail le moins bien reconnu, celui où l’on est le moins bien payé et tant pis pour lui. A l’embauche également, les candidat·e·s blanc·he·s ont en moyenne 50% de réponse en plus de la part des recruteur·se·s que les personnes noires [2].
Que ressentent les afro-américain·e·s face à ces injustices ?
Les conséquences de ces discriminations raciales ancrées dans les institutions de façon endémique et systémique contraignent les afro-américain·e·s à vivre dans une inquiétude permanente. Ainsi, cette peur se traduit sous plusieurs formes:
Premièrement, le sentiment d’être étiqueté·e comme un·e criminel·le normalisé·e face à l’autorité étatique, de manière simplifiée.
Deuxièmement, la question des violences policières construit une certaine socialisation exclusive et primaire - à juste titre négative - au sein des familles. En effet, les parents se trouvent dans l’obligation d’éduquer leur(s) enfant(s) à la forme « adéquate » permettant de mieux interagir face à un·e policier·ère. Ceci pour conscientiser précisément la brutalité des forces de l’ordre exercées sur les personnes noires.
Troisièmement, comme il a été expliqué précédemment, dans la perception sociétale, les afro-descendant·e·s sont classé·e·s dans la hiérarchie sociale comme des acteur·rice·s dominé·e·s. Par conséquent, ces dernier·ère·s ont l’impression de construire la réussite de leur vie par la nécessité de légitimer leurs compétences deux fois plus que les américain·e·s non-racisé·e·s.
Pour finir, la communauté noire se trouve dans une configuration sociale où sa reconnaissance n’est pas valorisée au même niveau que la communauté blanche. Notamment lorsque dans le camp politique, les détenteur·rice·s du pouvoir minimisent les conditions de vie des afro-descendant·e·s. C’est le cas notamment lorsque le cabinet de Donald Trump qualifie la mort de George Floyd comme un « cas isolé » sans remettre en question la dimension structurelle à caractère discriminatoire de la police américaine. Cette situation politique nous montre une réalité inouïe: l’inertie des institutions américaines. Autrement dit, l’absence stricte relative à la remise en question sur les changements institutionnels. Au contraire, nous nous trouvons au 21ième siècle face à un discours conformiste qui délégitime les manifestant·e·s. Ainsi, la conséquence de tous ces facteurs multidimensionnels, illustre une révolte collective face à l’autorité policière et politique.
Et en Suisse, ça se passe comment ?
« Rentrez chez vous », « bande d’étrangers », « sale noire ». Les insultes, les incidents allant d’un regard à de la violence physique ou même au meurtre. Cela, notre pays n’y échappe pas, la police tue même en Suisse. D’après le rapport 2019 de l’ONG Human Rights [3], la majorité des incidents racistes se sont déroulés dans l’espace public, mais également sur le lieu de travail. Le racisme institutionnel reste l’un des plus fort et des plus flagrant [4]. En octobre 2009, à la recherche d’un suspect noir, la police municipale de Zurich contrôle un homme kényan qui a directement protesté et accusé les policier·ère·s de délit de faciès. Après l’avoir fait descendre du tram, il a été matraqué et a par la suite souffert d’une fracture de vertèbres lombaire. Le 11 mars 2010, Skander Vogt est mort asphyxié dans sa cellule de la prison à Bochuz. Les gardien·ne·s ne sont pas intervenu·e·s à son secours malgré ses appels qui ont bien été entendus. Le même mois, un nigérian en procédure de renvoi meurt durant son expulsion de force. La police n’a pas été inquiétée [5]. Le 28 Octobre 2016 un jeune homme d’origine Capverdienne a été frappé par la police lausannoise, il avait été prit pour un trafiquant alors qu’il faisait son jogging. Plus récemment, en février 2018, Mike est tué par la police durant une interpellation [6]... Et la liste continue et ne cessera de continuer. Oui, la police tue, même si cela peut-être difficile à croire ici en Suisse.
Quand nous ne sommes pas directement une personne racisé, il n’est pas facile de se rendre compte du racisme ambiant. Pourtant, si vous ouvrez bien les yeux, vous verrez qu’il est partout. Erich Hess, conseiller national UDC, a utilisé le terme “nègre” durant un débat parlementaire à Berne. Celui-ci a dit ne pas trouver ce terme offensant. En commençant tout simplement par là, la politique. Il y a peu, voir pas du tout de personnes noires en politique. Dans les amphithéâtres, les parlements et à la télévision, les personnes noires sont très largement sous-représentées.
Pourquoi y a t’il beaucoup de personnes afro-descendantes et étrangères dans les prisons ? Car le contexte de société dans lequel elles vivent les poussent à commettre des délits, ainsi, cumulé à une police qui n’hésite pas à faire des contrôles au faciès, les condamnations sont plus nombreuses. Les victimes en parlent et c’est malheureusement les médias qui n’en font que peu le relais pour protéger les institutions.
La Suisse reste au yeux du monde, un pays presque parfait où les injustices ont l’air de ne presque pas exister. Garder une bonne image de notre pays, c’est le but de notre système. Mais parfois, la face cachée est beaucoup plus sombre que ce qu’on ne l’imagine.
Une déconstruction et une sensibilisation ?
Commençons par détruire le capitalisme pour détruire le racisme. Ensuite, repensons l’Histoire car il ne suffit pas de parler des colons et de les idolâtrer car ils ont découvert de nouvelles terres. Il devient nécessaire de raconter également l’Histoire des terres d’Afrique: De la manière dont les personnes, les familles, les femmes, les hommes et les enfants ont été traité·e·s. Il faut parler du colonialisme dans son ensemble et non des prouesses de l'Occident.
D’autre part, des politiques institutionnelles doivent être posées pour prendre soins des personnes victimes de racisme. Il faut arrêter de croire que les noir·e·s sont des dealers de drogue, des trafiquant·e·s ou des migrant·e·s économiques. Il ne faut pas garder le silence mais il faut mettre en avant les paroles des victimes, montrer à notre société qu’il y a des personnes victime de discriminations et faire en sorte que cela cesse. Mettre en avant les conférences organisées par les associations, les universités ou les collectifs qui parlent du racisme d’ici et d’ailleurs. Manifester son désaccord avec ce système oppressif et raciste. Ne pas abandonner les victimes et leur montrer notre soutien. Pour changer les choses il faut montrer que le racisme détruit des gens, le racisme tue.
Naomi Buchana, Samson Yemane et Kelmy Martinez
Sources
Comments