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Article - Soline Caiazza

Vers un retour à la norm(al)e : arrêtons-nous

Dernière mise à jour : 26 avr. 2020


La Suisse, un pays riche, neutre, multilingue, des habitant·e·s posé·e·s, réfléchi·e·s, ponctuel·le·s, individualistes. Le culte du compromis, l’importance de l’apparence, la recherche du profit. Un système sanitaire hors norme.

La situation actuelle ainsi que la conférence de presse donnée par le Conseil Fédéral jeudi dernier 16 avril nous donnent une occasion en or de nous arrêter – ne vous inquiétez pas, la Suisse ne va pas faire faillite pendant que vous lisez cet article – et d’observer notre cher pays à travers la loupe grossissante du désormais tristement célèbre coronavirus.

Tourner autour du pot

Ce sont des téléspectateur·rice·s médusé·e·s qui assistent à l’ouverture de cette conférence de presse tant attendue. La légère baisse de la redevance radio-télévision, la plus grande préoccupation de toutes et tous en ce temps de crise, sans aucun doute, a en effet occupé près de 2 minutes 30 des 5 minutes 30 d’introduction de Madame Sommaruga. Et, puisqu’on en parle, il est bien gentil et joli de montrer que ce geste fait économiser „des millions de francs aux ménages et aux PME“, il n’en reste pas moins que cela représente 30 francs, ni plus ni moins, par ménage, et que les ménages pour lesquels cette somme ferait une différence ont bien plus besoin d’une aide réelle face au coronavirus pour boucler leur fin de mois et payer leurs factures, indéniablement plus salées, de loyer, de charges et de médecin.

Les trois étapes

Le suspense a assez duré, et c’est désormais Alain Berset qui nous communique les décisions ayant été prises dans le sens d’un déconfinement progressif. Nous y apprenons avec bonheur que les gardens, coiffeurs·euse·s, esthéticien·ne·s et masseur·euse·s vont pouvoir reprendre leur travail dès le 27 avril et que nous allons par conséquent pouvoir jardiner et nous refaire une beauté – pour notre chat qui en a marre de nous voir en pyjama ? Bien plus, derrière cette « possibilité », cette autorisation autant pour les coiffeurs·euse·s que les coiffés·e·s de remédier aux catastrophes capillaires, byproducts du confinement, se cache une véritable obligation. Ce n’est pas tant pour faire plaisir à ces indépendant·e·s que le Conseil fédéral a pris ces mesures, que pour la survie de « l’économie » ; les APG, doit-il penser, ça va un moment, d’ailleurs elles venaient d’être décidées, mais attention à, attention à quoi ? La « santé économique » de la Suisse ? L’apparence soignée de ses citoyen·ne·s ? Quelles sont, quelles devraient-être les priorités d’un pays ?

Le Conseil Fédéral, où, rappelons-le, une majorité de droite règne et gouverne, semble avoir apporté une réponse claire : ce sont les chiffres, le profit qu’il faut privilégier, au détriment des indépendants·e·s, des petits commerces et des personnes précaires. Et ce n’est pas tout. Les enfants pourront, encore une fois, devront, retourner à l’école dès le 11 mai, et cela contre l’avis de certains cantons. Parce qu’ils ne courent pas de risque, ou parce qu’ils ne courront ainsi plus entre les pattes de leurs parents qui tant bien que mal (télé)travaillent ? Ici encore, l’efficacité avant la santé, quel joli slogan. Une efficacité sélective, plus précisément. Car si les géants commerciaux rouvriront leurs portes le 11 mai également, il semblerait que les restaurateurs·trice·s, quant à iels, aient besoin de plus de temps pour mettre en place un « concept de protection spécifique ». C’est vrai qu’il est bien plus facile de prendre des mesures pour que les client·e·s ne contaminent pas des milliers de pièces de vêtements, qu’ils touchent, essaient et s’échangent joyeusement, que pour espacer les tables dans un local où les gens restent généralement tranquillement à leur place (pardonnerons-nous ces enfants intenables ?). Non ?

Si vous n’êtes pas convaincu·e·s, référons-nous à l’éclairage de Karin Keller-Sutter : « nous avons réfléchi et nous sommes arrivé·e·s à la conclusion qu’au restaurant, on ne peut pas manger en portant des masques ! ». Tenez, les masques, parlons-en.

Les masques

Ou plutôt essayons, étant donné que l’omerta semble avoir été déclarée sur ce sujet. Certes, comme il le dit lui-même, Alain Berset n’est pas médecin. Cependant, se cacher délibérément derrière cette figure d’autorité qu’incarnent « les experts » et éviter ainsi toute question et toute prise de position n’est pas acceptable. Car les avis desdits experts - et expertes n’est-ce pas - divergent. Il est encore plus intolérable que les élites économiques et le Conseil Fédéral fassent la girouette en fonction du nombre de masques disponibles en Suisse, de rester impassible lorsque certaines entreprises interdisent à leurs employé·e·s d’en porter pour « ne pas effrayer les clients », de ne pas prendre les dispositions nécessaires pour que tout citoyen·ne puisse acheter et porter des masques s’iels le souhaitent et d’exporter des masques parce que nous en avons soit disant trop. Pourquoi la Suisse doit-elle toujours agir différemment des autres ? Pourquoi éviter la question des masques, lorsque tant de pays mettent à profit cet outil ? Depuis des décennies, les passants utilisent ces masques pour se protéger et protéger les autres en Asie du Sud-Est. S’il faut des exemples plus eurocentrés, depuis février, il y en a : l’Italie, la France, entre autres. La Suisse a les moyens de se masquer. Non pas en se voilant la face, demeurant inexpressive. Mais en acceptant de renoncer au sacro-saint capital l’espace d’un instant, en mettant au premier plan la santé de ses habitant·e·s. Concrètement. Pas seulement dans de beaux discours.

Profit(ons)

En attendant de voir les résultats des décisions prises et appliquées dans nos pays voisins et de pouvoir ensuite nous en inspirer, peut-être pourrions-nous au moins – je cache derrière ce verbe « pouvoir » le verbe « devoir », c’est à la mode – remettre en question les fondements de ces décisions prises par le Conseil fédéral, interrogeant dans un même temps les fondements de notre société, dans la continuité d’une Suisse focalisée sur le Capital et (in)animée par la précaution, la modération et la retenue. Parce qu’avec les différents points rassemblés et abordés dans cet article, j’en arrive à la conclusion que si je suis épilé·e, coiffé·e, massé·e, que j’ai pu acheter une plante chez Landi pour alléger ma nouvelle conscience écologique, que j’ai pu retourner chez H&M et que je travaille, je suis heureux·se. Les loisirs, les liens sociaux, l’épanouissement personnel et le respect des droits humains attendront. Vraiment ?

Soline Caiazza


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